Nicolas Baudin par
N- Martin
Plaque au cimetière de Port-Louis
Concernant l'emplacement de la tombe de Baudin, il faut dire que nous ne savons toujours pas où elle se trouve exactement. Néanmoins, avec les recherches faites récemment nous pouvons peut-être dire que nous avons des indices. D'abord, les règles sont nettes - tout homme libre mort à Port Louis est enterré dans ce cimetière, sauf en cas de sépulture familiale dans une autre région. Donc, Madame de Kerivel fut inhumée à la Rivière Noire dans l'enclos de sa famille Genève - il n'y a pas de caveau de la famille de Kerivel à Port Louis, comme prétendent certains. Le choix de l'emplacement se fait normalement par les parents qui mettent d'habitude le défunt autour des autres membres de la famille. Baudin, qui n'avait pas de famille au cimetière a donc été possiblement enterré avec les autres militaires, marins ou fonctionnaires de l'état.
Nous avons cherché les liens de parenté entre l'entourage de Baudin et les défunts. Les familles qui pouvaient avoir eu un souvenir tendre pour Baudin sont - les Peltier, les Ceré, les Genève, de Kerivel, Ronsin et Houdetot. Parmi les « étrangers », nous pouvons compter Milius, Bory, Bissy, Garnier, Le Brun et Pelgrom. Parmi les chefs politiques ou fonctionnaires nous trouvons Durand, Pépin, Magallon et Roux. Parmi tout ce monde considérable, nous trouvons que l'enfant de Sylvain Roux, Président de l'Assemblé coloniale, enterré ici. D'après nos recherches, il n'y avait pas d'autre personne inhumée au cimetière en 1803 qui fut membre de la famille des proches ou des collègues de Baudin.
En 1822, le chevalier Barthélémy de Froberville a fait un recensement de cette ancienne section du cimetière qui comportait alors quelque 400 individus. Depuis 1995, nous avons fait un inventaire similaire, de plusieurs milliers de tombes. En comparant les deux inventaires, nous avons élucidé l'occupation graduelle de l'espace dans le cimetière. En 1803 il n'y avait qu'une trentaine de tombes regroupées autour de deux endroits. Les limites du cimetière étaient très restreintes, et les officiers militaires et navals reposaient dans un endroit relativement petit. Baudin pourrait être enterré ici.
Pour conclure, il nous semble qu'il n'a pas de pierre tombale ni inscription pour Nicolas Baudin. Nous aurions pu certes utiliser des moyens scientifiques pour savoir où sont ses restes, mais tel n'est pas notre but.
Pour nous, réunis ici aujourd'hui deux siècles après sa mort, l'important est de se retrouver dans le lieu où il fut enterré et de respecter sa mémoire autour de cette stèle.
Merci de votre attention.
Comparons cette triste situation avec une autre, similaire, que Baudin lui-même décrit dans son journal. En 1801, alors qu'il est à bord du Géographe dans la rade de Coupang au Timor, son meilleur ami de voyage, le chef-jardinier Anselme Riédlé, meurt à terre. Hamelin, capitaine du Naturaliste, vient le voir dans sa chambre, et dit, je cite : «Je me suis chargé, par devoir, d'une commission dont il m'est aussi pénible de m'acquitter, qu'il va être douloureux pour vous d'en être informé. Mais comme vous avez peut-être des ordres particuliers à donner pour les funérailles du citoyen Riédlé, je vous préviens qu'il n'existe plus. »
 

« Il est inutile de répéter ici la situation dans laquelle je me suis trouvai et les regrets qui furent la suite de la nouvelle que je venais d'apprendre. Il me suffira de dire que je perdais un de mes meilleurs amis et que l'état pénible dans lequel me réduisit sa mort ne s'effacera pas sitôt de mon souvenir. Au retour du capitaine Hamelin... je lui déclarai que mon intention était qu'on rendît au citoyen Riédlé les mêmes honneurs qu'on me rendrait à moi-même dans pareilles circonstances et je le chargerai personnellement de faire connaître ma volonté formelle à ce sujet à bord des deux corvettes. Le citoyen Riédlé avait bien mérité par son activité, son zèle et sa conduite d'être traité comme moi et même mieux s'il eût possible. »
Baudin donne les ordres pour l'enterrement de Riédlé, choisit l'endroit, dessine le monument qui sera érigé sur la tombe et écrit lui-même l'épitaphe. Le gouverneur et tout ce qu'il avait de notables dans le village y furent invités. Au lever du soleil, les bâtiments annoncèrent par les coups de canon la triste cérémonie qui devait s'ensuivre. Les états-majors et naturalistes des vaisseaux sont rassemblés. Baudin décrit les décharges de mousqueterie, il insiste pour que le protocole soit suivi par les soldats et les marins. Concernant le monument il dit, je cite :
« Telles furent les marques d'amitié et de reconnaissance que je fis rendre au citoyen Riédlé, non pas comme ami, car je lui réserve un monument durable, mais comme une récompense due à son mérite et analogue à la perte que l'expédition venait de faire. »
Deux semaines plus tard, Baudin place l'inscription suivante sur le monument funéraire :
« Ici repose Anselme Riédlé d'Ausbourg, âgé de trente-cinq ans, jardinier en chef de l'expédition de découvertes ordonnée par le Premier Consul Bonaparte, l'an IX. Son
zèle, son activité, ses travaux furent la cause de sa mort le 29 vendémiaire an X [21 octobre 1801]. Qui que vous soyez, respectez son tombeau et le monument qui doit transmettre son nom à la postérité.. »
Nous avons gravé cette même éloge sur la plaque commémorative, avec un dessin du monument funéraire fait par Baudin à la mémoire de son ami Riédlé. Nous respectons donc ici la mémoire de Nicolas Baudin.
Monsieur le Vice-Président de la République, Monsieur l'Ambassadeur de France et Messieurs les Chefs des missions diplomatiques, Père Henri Souchon, Mesdames et Messieurs
Nicolas Baudin, célèbre navigateur français et commandeur de l'expédition scientifique envoyé par le premier consul Napoléon Bonaparte pour explorer les Terres Australes, est l'un des trois illustres fils de la France mort à l'île de France il y a deux siècles, sans tombe et pendant les longues années oublié sur le sol mauricien. Tous les trois ont été vraisemblablement enterrés dans ce cimetière mais personne ne connaissait l'endroit de leur sépulture. L'île de France est par la suite devenue Ile Maurice et le peuplement et les préoccupations de l'ancienne Ile de France ont beaucoup évolué. Avec les années, nos trois personnages sont tombés dans l'oubli.
Le premier fut Henry de MacNamara, chef de l'escadre en 1790 et prétendant au gouverneur, qui fut pris par les soldats dans le port, tué et décapité dans la fureur révolutionnaire. Son corps fut retrouvé par les marins soumis au gouverneur et inhumé ici. Sa tombe n'a pas été retrouvée à ce jour.
Le deuxième fut David Charpentier de Cossigny, gouverneur de Pondichéry, de l'île Bourbon et de l'Ile de France pendant la révolution. C'est lui qui essaya en 1790, en vain, de sauver la vie de MacNamara. Certains disent que Charpentier de Cossigny termine sa vie à l'île de France, d'autres mentionnent la métropole. Après quelques années de recherche dans ce cimetière, où nous avons répertorié des milliers d'épitaphes sur les tombes et de filiations entre les défunts, la Société de l'Histoire décida de construire une stèle à la mémoire du Gouverneur Charpentier de Cossigny, dans le cadre d'un projet pour l'Ambassade de France. En creusant le sol pour la stèle, la pierre tombale originale du gouverneur David Charpentier de Cossigny, décédé en 1801, fut découverte. Nous avons alors restauré sa tombe et déplacé le monument 10 mètres plus loin.
Le troisième fut Nicolas Baudin. Quand le capitaine Baudin meurt à Port Louis il y a 200 ans aujourd'hui, il est loin de sa famille, à terre depuis seulement trois semaines, malade et entouré de peu d'amis. Il meurt le seize (septembre) au soir à Port Louis, chez Madame de Kerivel, non loin du centre de Port Louis. Le lendemain matin a huit heures, une petite délégation du Commissaire de la Marine fut envoyé chez Mme de Kérivel pour la réquisition des papiers et les effets du capitaine. Le soir précédant, pendant ses dernières heures, Baudin reçoit les réconforts de Madame Kerivel et aussi de Mary Bickaith la jeune femme qu'il avait ramenée de Port Jackson (Sydney), mais surtout il fut conforté par Louis et Suzanne Peltier (ou Pelletier). Le couple Peltier était des cousins et la marraine de Baudin et aussi celle de Monsieur Peltier -ousins c'est possible que les deux étaient parents. Au moment de sa mort, son frère, Augustin, est aux Indes et l'équipage du Géographe est pleinement occupé avec le ravitaillement ainsi que les soins à apporter aux plantes et aux animaux rapportés aux Terres Australes.
Néanmoins, Baudin est commandant en chef d'une expédition scientifique officielle de l'état français et sa mort nécessite qu'une cérémonie officielle soit organisée. Malheureusement il n'y a pas de traces dans les archives concernant le déroulement de ses funérailles. La raison pour cela se trouve, peut-être, dans le contexte politique assez particulier de cette époque. Quand Baudin arrive le 7 août, Général Magallon de la Morlière est encore gouverneur. Mais une semaine plus tard, le 16 août, le capitaine-Général Decaen arrivait à l'Ile de France accompagné par le Comte de Linois, Commandant de la division des Indes Orientales. Baudin meurt, comme nous savons, la nuit du 16 septembre, soit le jour même de la dernière réunion de l'assemblé coloniale. Cette Assemblée fut créée en 1789 dans le sillage de la révolution et supprimée par Decaen qui refusa de s'y présenter. Magallon proclame Decaen gouverneur-général le 25 septembre 1803, neuf jours après la mort de Baudin. Linois part pour l'Inde deux semaines plus tard, le 8 octobre, et c'est seulement le 4 octobre, et je cite Milius « que les administrateurs de la colonie, l'exécuteur testamentaire de M Baudin accompagnés d'un notaire, se rendirent a bord [le Géographe] pour lever les scellés sur la chambre du commandant. Ces messieurs procédèrent à l'inventaire des objets appartenant au gouvernement ...».
Dans les mouvements politiques très intenses de l'époque, il est possible que la mort de Baudin n'ait pas reçu une grande attention du gouvernement d'alors.
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Port Louis le 16 septembre 2003,
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discours prononcé par
Philippe la Hausse de Lalouvière Président de la Société de l'Histoire de l'île Maurice.
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Monuments à l‘Ile Maurice
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Discours sur la tombe de Nicolas Baudin au Cimetière de l'Ouest
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